• Le Portail : naissance d'un bourreau

    François Bizot. Illustrateur : Guy Forgeois - Ed. Talents hauts 2006 – 24,90€

     

    « En 1971, au Cambodge, l'auteur, alors chercheur à l'Ecole française d'Extrême-Orient, a été pris en otage par les Khmers rouges et retenu pendant plusieurs mois en captivité par Douch, un lieutenant de Pol Pot. »

     

    Mon point de vue

     

    Ce livre se présente comme un carnet de voyage (récit et  aquarelles) avec les particularités suivantes : le voyage a eu lieu en 1971 et n'avait rien d'un séjour touristique, le texte a été écrit en 2000 et les illustrations ont été réalisées pour cette édition en 2006, par Guy Forgeois qui n'a pas vécu les événements. François Bizot est le premier à reconnaître la puissance d'évocation de ses aquarelles dans lesquelles il retrouve toutes les sensations éprouvées à l'époque.

     

    Bizot avait déjà relaté en 2000 dans un livre intitulé « Le Portail » (pour lequel il a reçu le Prix des Deux-Magots 2001 - disponible aujourd'hui en poche) sa détention de 3 mois dans un camp dirigé par Douch, puis sa libération, son retour à  Phnom Penh. Il sera d'ailleurs l'un des acteurs majeurs des négociations entre l'ambassade de France et les Khmers rouges.

    Cette nouvelle édition met en images la première moitié de ce précédent livre qui s'achève au moment où Bizot et Douch se séparent. Ce dernier est alors un jeune homme de 27 ans, convaincu par l'idéologie des Khmers rouges qu'il applique en toute rigueur. Il est aussi l'homme qui va se prendre de sympathie pour le Français dont il a la garde et œuvrer pour sa libération. Pourquoi ? Parce qu'il est animé par un désir de justice et qu'il est convaincu de l'innocence de son prisonnier. Eh oui !... Mais la dureté, voire la perversité de celui qui sera un peu plus tard le dirigeant et principal bourreau de la prison de Tuol Sleng sont déjà là.

    Parce qu'il lui a sauvé la vie, parce qu'ils ont pu échanger leurs points de vue au cours de discussions d'homme à homme, Bizot ne peut pas non plus tomber dans la facilité en décrivant d'un côté les bons, les victimes et de l'autre les méchants, les bourreaux de nature. Et c'est là toute la force de son récit, que l'on retrouve par exemple dans ce petit paragraphe : « Je venais de le manipuler à mon tour et de le faire mentir. Je retirai de ce petit jeu une vive satisfaction. Et de cette jouissance que j'éprouvais me vint l'idée que j'avais, moi aussi, les qualités pour, à sa place, faire un bon bourreau. »...    


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  • Tourments et merveilles en pays khmer

    Dane Cuypers –  Ed. Actes Sud Aventure  2009 -  22,80 euros

     

    « Du Cambodge mythique symbolisé par Angkor au génocide perpétré par les Khmers rouges, le portrait d'un pays, documenté comme un essai, sensible comme le journal d'une voyageuse. Une voyageuse constamment à l'écoute, devenant témoin et avocate de ceux et celles qu'elle rencontre. » 

     

    Mon point de vue

     

    Chaque chapitre peut se lire indépendamment des autres puisque le récit n'est pas chronologique. Ce sont plutôt des portraits, des évocations, des points de vue qui, touche après touche, donnent une image en kaléidoscope du Cambodge.

    L'auteur, en tant que journaliste, a eu l'occasion de rencontrer différentes personnalités cambodgiennes et responsables d'ONG. Rencontres de hasard ou rendez-vous programmés qui donnent une vision historique et politique du pays -ce qui justifie l'appellation d'essai.

    Mais elle relate également sa perception personnelle du Cambodge, comme simple voyageuse, simple touriste : la confrontation avec la misère, la corruption, la violence, la prostitution, les expropriations, mais aussi les liens tissés avec les chauffeurs de tuk-tuk, les malentendus liés à la langue, la poussière rouge du Ratanakiri, les portraits d'enfants et de femmes croisés à Battambang, Kampot ou Sihanoukville, les espoirs portés par ceux qui œuvrent pour la culture et le développement économique du pays.

    Tout ce que l'on a vécu si l'on est allé soi-même au Cambodge, pas forcément dans le même ordre, mais tout y est ! Ce qui rend ce livre très familier et très vivant. On y trouve aussi matière à d'autres voyages...

     

    Une importante bibliographie et filmographie termine et enrichit l'ouvrage.

     


     


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    Jeunesse brisée : chroniques de Borng Tha sous le Kampuchea démocratique

    Sathavy Kim - Actes Sud  2008 – 19€

     


    « De sa jeunesse brisée par la dictature khmère et sa détention de trois ans, Sathavy Kim rapporte un témoignage dédié à l'avenir démocratique du Cambodge. Elle avait 21 ans quand, en 1979, après une fuite éperdue à partir de Phnom Penh où elle était étudiante, elle fut arrêtée et enfermée dans un camp. Elle a survécu à des conditions abominables. »

     

    Mon point de vue

     

    Issue d'une famille à la fois lettrée et attachée à la terre, Borng Tha (Sœur Tha, ainsi qu'elle est rebaptisée dans le camp, la notion de famille n'ayant plus cours) doit sa survie à la dissimulation de la part « capitaliste » de son éducation (son origine citadine, sa connaissance de la langue française) ; à sa force de travail, quand par exemple, il leur faut déblayer chaque jour 3 mètres cubes de terre par femme pour édifier un barrage ; et aussi à la solidarité entre les prisonnières et la bienveillance de certaines chefs de camp, en général de simples paysannes promues à ce grade malgré elles, simplement du fait qu'elles symbolisent le « peuple nouveau » et tout aussi terrorisées que leurs prisonnières.

     

    Récit très pudique où jamais l'auteur ne s'apitoie sur elle-même et où jamais elle ne se complait à décrire l'horreur dans laquelle elle vécut. De simples évocations suffisent ...On est suffoqué par l'absurdité de ce régime qui élimine systématiquement tout ce qui n'est pas conforme à la nouvelle idéologie de l'Angkar (Organisation en français). Non seulement les personnes mais aussi les rites : ainsi, le mariage est devenu une cérémonie collective où hommes et femmes s'unissent à la chaîne, suivant des critères établis par les dirigeants, les enfants ne vivent plus avec leurs parents...

    La culture khmère est anéantie, la dignité humaine bafouée.

     

    L'auteur, à sa libération, a pu reprendre des études et est devenue juge à la Cour Suprême du Cambodge. Son parcours est une leçon de courage et de persévérance. Mais elle le reconnaît elle-même : seule l'écriture a réussi à repousser ses cauchemars. Encore lui a-t-il fallu 30 ans pour réussir à faire cette démarche et elle reste solidaire de toutes ces autres femmes qui n'ont pas eu cette chance, soit parce qu'elles sont mortes, soit parce qu'elles sont restées vivre dans les villages. Solidaire aussi des anciennes chefs de camp qu'elle a pu revoir et dont le sort est bien souvent de vivre dans la honte alors qu'elles sont hantées elles aussi par les mêmes cauchemars.

     


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